Marion Gibot, doctorante à l'EPHE - PSL

Portrait de Manon Gibot. Décrypter l'intériorité humaine

Doctorante de la section des Sciences religieuses de l’EPHE - PSL, Manon Gibot entame sa troisième année de thèse en philosophie antique et médiévale. Elle se passionne sur l’espace guerrier du cœur pour parler de l’intériorité humaine.

Marion Gibot, doctorante à l'EPHE - PSL

Un parcours façonné par la philosophie 

Originaire de Paris, Manon Gibot se passionne très tôt pour la philosophie, ce qui la pousse à choisir un baccalauréat littéraire au lycée Racine. Attirée par la rigueur intellectuelle et méthodologique, elle poursuit des études en philosophie à la Sorbonne, où elle découvre des penseurs comme saint Augustin et Sénèque grâce à l’enseignement de Jean-Louis Chrétien.

« Je suis entrée en philosophie par des questions et j’y suis restée parce qu’elle m’en posait d’autres ».

 Au cours de son master en histoire de la philosophie, Manon part à l’Université de Montréal. Ce séjour lui permet de découvrir une pédagogie plus interactive et de s’ouvrir à d’autres courants de pensée, notamment la philosophie analytique et les études religieuses. Son mémoire de master, intitulé « Sujet en guerre : usage de la métaphore guerrière », explore comment la philosophie antique et les premiers penseurs chrétiens ont utilisé le vocabulaire militaire pour décrire l’intériorité humaine.

« J’étais assez fascinée par toutes ces images. Je me demandais comment ces auteurs, qui avaient été témoins de guerres, avaient pu transposer ce vocabulaire au domaine de l’intériorité. Cela faisait écho à mes propres incompréhensions : comment avaient pu advenir des guerres aussi violentes et organisées ? Cela a-t-il du sens de dire “se faire la guerre à soi-même” ? Au fond, qu’est-ce que la guerre dit de nous ? Et d’où vient-elle ? ».

Soucieuse de retravailler des thèses dont elle a perçu les limites, Manon revient à ses recherches, animée par le besoin de pousser plus loin ses réflexions. Elle rencontre alors Olivier Boulnois, directeur d’études à l’EPHE - PSL sur la chaire « Philosophie médiévale et métaphysique », qui l’encourage à explorer le concept du « cœur » comme vecteur central de son projet. Andrei Timotin, directeur d’études à l’EPHE - PSL, titulaire de la chaire « Philosophie et théologie de langue grecque (Ier-VIe s.) », l’accompagne également, en raison l’extension de son étude et du corpus latin – grec sur lequel elle s’appuie.

Le cœur en guerre : une recherche au carrefour des disciplines

Dans sa thèse, intitulée « Un cœur en guerre : structure agonistique de l’intériorité à l’Antiquité tardive », Manon analyse la manière dont les auteurs antiques, notamment les stoïciens impériaux et les premiers chrétiens, décrivent l’intériorité humaine. Elle défend l’idée que le « cœur », souvent perçu aujourd’hui comme le siège de l’amour ou de la foi, était pour ces penseurs un lieu de tensions, un champ de bataille où Dieu et le diable s’affrontaient, reflétant ainsi une intériorité marquée par le conflit. Et selon Manon, cette guerre intérieure est cause la guerre « extérieure »

« J’ai l’impression qu’avec Augustin et les pères de l’Église, ce qui va changer c’est la présence de deux ennemis, Dieu et le diable, au sein du même cœur. Le cœur devient un lieu encore plus paradoxal qu’avant : il est à la fois l’endroit privilégié où Dieu s’adresse à l’homme et où le diable vient le tenter ».

Manon utilise une méthodologie pluridisciplinaire, croisant philologie, philosophie, histoire et anthropologie. Elle a constitué un inventaire lexical latin et grec autour des termes du cœur et de la guerre, pour naviguer dans les textes et constituer son corpus. Elle y examine des œuvres allant d’Homère à Augustin, en passant par Sénèque et Virgile. Cette analyse révèle comment ces auteurs ont transformé l’idée de cœur à travers leurs réflexions philosophiques et littéraires.

La thèse de Manon ne se limite pas aux textes anciens. Elle fait aussi dialoguer la philosophie et la psychologie pour élargir ses perspectives sur les notions de conflit intérieur et de guerre extérieure. Son exploration s’étend également aux autobiographies modernes sur la guerre, comme celles de Charlotte Delbo, écrivaine et résistante française, qui offrent des échos contemporains aux tensions décrites par les auteurs antiques.

Et après ?

Manon souhaite poursuivre ses recherches sur l’intériorité humaine en étudiant d’autres organes corporels. Elle espère écrire une histoire de l’intériorité à travers le prisme du corps, révélant comment ces concepts corporels ont influencé la pensée philosophique. 

« J’aimerais appliquer ma méthode de travail à un autre organe corporel pour confirmer l’importance du corps pour penser l’intériorité et sa complexité. L’intériorité n’est ni entièrement spirituelle, ni exclusivement corporelle. Mais en philosophie, on a trop souvent dévalorisé le corps contre l’âme, l’esprit ou le sujet. Cette mise sous silence du corps n’avait, selon moi, pas cours chez les Anciens ». 

Par ailleurs, elle envisage de transposer ses recherches dans un format visuel, mêlant écriture et dessin pour créer un roman graphique. En combinant l’image et le texte, Manon espère rendre accessible au plus grand nombre l’idée de guerre intérieure et la richesse imagée des textes qu’elle étudie.

 

Direction de la Communication : C. David