Cithare qin

L'art de la cithare qin

À l'occasion de la Fête de la Musique, Simon Debierre, doctorant à l'EPHE - PSL, nous fait découvrir l'art de la cithare qin.

Pourquoi vous intéressez-vous à l’art de la cithare qin ?

 

Cet intérêt est d’abord né d’une fascination pour l’instrument dès la première écoute lors de l’un de mes séjours en Chine…
L’émerveillement initial passé, cette passion naissante a pu se nourrir ensuite de rencontres décisives avec des professeurs formidables, qui chacun ont su m’encadrer dans mes études autour de cette cithare : le trompettiste et joueur de qin Luca Bonvini , puis Mme DAI Xiaolian, Professeure en Musique traditionnelle chinoise au Conservatoire National de Musique de Shanghai, et enfin M. Rainier Lanselle, Directeur d’études à l’EPHE à la Section des Sciences historiques et philologiques.

Enfin cette aventure n’aurait pas été envisageable sans le soutien de mes proches ainsi que l’existence de programmes de soutien à la recherche : hier grâce au programme de bourse du gouvernement chinois portée par le Conservatoire national de Shanghai et aujourd’hui grâce au contrat doctoral PSL du programme gradué Sciences historiques porté par l’EPHE.

 

Qin signifie littéralement « instrument à cordes ». Ce cordophone sans frettes ni chevalets appartient à la famille des cithares et se pince à même les doigts et les ongles. Cet art nous plonge au cœur de l’histoire de la musique chinoise pour deux raisons principales.

Premièrement, le qin s’est pratiqué dans une facture instrumentale restée fondamentalement inchangée depuis la dynastie des Tang (618–906 de notre ère) comme en témoigne la datation des plus anciens exemplaires conservés et même encore joués aujourd’hui. Cette continuité historique remonterait même jusqu’aux Han Orientaux (25–220) selon la tradition philologique de son étude.


Deuxièmement, cette longévité exceptionnelle s’accompagne en Asie orientale de la plus grande collection de sources écrites dédiées à un instrument : le plus ancien manuscrit conservé, Orchidée cachée (Youlan), daterait du 7ème siècle. Le répertoire prémoderne du qin, sous la forme de tablatures, totalise ainsi près de 2000 airs, répartis en quelques 150 manuels publiés à intervalles réguliers depuis l’ouvrage cardinal du prince ZHU Quan (1378–1448), les Notations secrètes et merveilleuses (Shenqi mipu) achevées en 1425.

 

Véritable marqueur de l’identité impériale et favori des lettrés, le qin a bénéficié d’une représentation singulière à travers les âges ; dans la musique bien sûr, mais aussi la littérature, le théâtre ou la peinture. Il offre de ce fait une clef de compréhension remarquable de la culture chinoise.

 

La musique chinoise traditionnelle est-elle en voie de disparition ?

 

Vaste question ! Si l’on entend par ce terme les musiques rituelles de l’orthodoxie confucéenne telle qu’elles se pratiquaient à la cour (yayue), alors cette tradition s’est même éteinte avec la chute de l’empire en 1911 et l’avènement progressif de la Nouvelle musique (xin yinyue). Avant d’être par la suite mis au service du réalisme socialiste après 1949, ce grand mouvement réformateur s’est développé dès la période républicaine avec la modernisation des institutions musicales. Notons à cet égard deux étapes essentielles impulsées par CAI Yuanpei (1868–1940) : celle de la fondation en 1919 de la première Association de recherche musicologique à l’université de Pékin, puis en 1927 du premier Conservatoire national à Shanghai. Plus concrètement, cette évolution de la « musique chinoise traditionnelle » se caractérise par les deux aspects suivants.

 

D’abord sous l’angle pratique, on assiste en parallèle à l’introduction de tout l’instrumentarium occidental et à une vague de rénovations dans la facture musicale chinoise. À titre d’exemple, les cordes en soie disparaissent au profit du métal, abandonnant au passage le diapason impérial pour adopter la convention internationale du la 440. Le système d’accordage est également modifié pour permettre l’usage de demi-tons tempérés. Les notations diatoniques gongche et wusheng et la notation chromatique lülü tombent en désuétude. Elles laissent place aux notations solfiées de la portée ainsi qu’au système chiffré jianpu dérivé de la méthode Galin-Paris-Chevé, elle-même inspirée par un certain Rousseau.

 

Dans un tel contexte, l’art du qin, perd sa prépondérance pour les musicographes même si d’importants réformateurs en restent de fins interprètes. On pensera en particulier à ZHENG Jinwen (1872–1935) et ZHANG Ziqian (1899–1991), deux membres fondateurs de la Société de musique universelle (Datong yuehui), célèbre comme premier ensemble doté d’une orchestration moderne pérenne, et fondée vraisemblablement entre deux platanes d’un beau jour de mai 1919 au 1004 de l’ancienne avenue Édouard VII en pleine concession française à Shanghai. Le qin, dont la sonorité reste comparativement ténue malgré l’adoption des cordes métalliques, se trouve marginalisé dans les nouvelles orchestrations, faute de succès dans les diverses tentatives de rénovation. Le poids de son héritage et la richesse de son répertoire ne sont peut-être pas non plus étrangers à ce qui se perçoit aujourd’hui de plus en plus comme une préservation.

 

Ensuite sous l’angle théorique, une révolution s’opère dans l’écriture musicale chinoise. Cette dernière intègre l’harmonie tonale ainsi que le contrepoint rigoureux à une tradition jusqu’alors restée principalement hétérophonique. Ces techniques, qui en Europe rencontrent un succès à l’époque baroque, sont pourtant bien connues des élites chinoises au travers des nombreux échanges diplomatiques assurés par la Mission jésuite (1582–1773). Citons ici l’introduction à la cour impériale d’un clavicorde par Matteo Ricci (1552–1610) dès 1601.

Mais la dernière dynastie Qing (1644–1911) s’enferme progressivement dans un véritable conservatisme, alors qu’elle hérite pourtant d’une longue tradition de théorie musicale. La cour mandchoue conserve en particulier les travaux du prince ZHU Zaiyu (1536–1611), dont le calcul de la division de la gamme tempérée dès 1581 s’avère par ailleurs concomitant à celui de Vincent Galilée (1520–1591). De même, si l’orthodoxie confucéenne privilégie un univers pentatonique, elle connaît également la génération des échelles heptatoniques et chromatiques comme l’attestent les écrits sur les rapports générateurs obtenus par la méthode de « l’augmentation et de la diminution d’une division par trois » (sanfen sunyi), dont le calcul fractionnaire jusqu’à six chiffres est consigné avec précision dès la dynastie des Han Occidentaux (~206–9) dans les Mémoires historiques (Shiji) de SIMA Qian (~145–~86 avant notre ère).

 

Mais, pour finir, « la musique chinoise traditionnelle » ne saurait se limiter à la musique confucéenne ou à la Nouvelle musique. De nombreuses autres traditions ont su traverser le 20ème siècle et s’adapter aux vicissitudes de la période moderne. La pérennité de toutes ces musiques dites « folkloriques » (minyue) ou « nationales » (guoyue) se retrouve dans la diversité des répertoires régionaux encore écoutés à ce jour. Citons la musique des liturgies bouddhiques et taoïstes, celle des ensembles populaires tels que les « Soies et bambous au Sud du Fleuve [bleue] » (jiangnan sizhu) ou les « Sons du Sud » (nanyin) pour ne mentionner que ces deux genres majeurs. Ou bien encore toute la tradition des schèmes prosodiques (cipai), qui rythment inlassablement le genre théâtral depuis ses origines. Tous ces genres constituent autant de témoignages de la vitalité du patrimoine musical chinois.

 

Comment sensibiliser les jeunes à la musique traditionnelle ?

 

Je dirais qu’aujourd’hui l’accès le plus immédiat reste internet et ses plateformes musicales en accès-libre. Elles peuvent agir comme un formidable tremplin vers la découverte d’une multitude de traditions musicales ; mais sous réserve de savoir parfois où chercher, tant l’offre peut être pléthorique et varier qualitativement. Néanmoins, rien ne saurait remplacer l’expérience musicale in situ. Je pense ici à l’ensemble des acteurs du monde culturel et éducatif : les salles de concert, les musées, les universités mais aussi les associations, collèges, lycées et les conservatoires municipaux ; tout cela dans l’espoir de susciter chez les plus jeunes, qui sait, des vocations et créer à terme de nouvelles filières.

 

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Simon Debierre effectue son doctorat à l’École Pratique des Hautes Études - PSL et est rattaché au Centre de recherche sur les civilisations de l’Asie orientale (CRCAO).

Il est diplômé de l’École Supérieure de Commerce de Paris (ESCP-Europe) et du Conservatoire National de Shanghai (SHCM).

Il a notamment dirigé le « Festival des Sept cordes » à l’occasion du Nouvel An chinois en février 2019.