Décès de Claude Langlois
L’École Pratique des Hautes Études a la tristesse de faire part du décès de Claude Langlois, survenu dans la nuit du 25 au 26 mai 2024 après une très longue maladie.
Né en 1937, agrégé d’histoire en 1963, Claude Langlois fut attaché de recherche au CNRS de 1968 à 1972 avant d’enseigner à l’université Paris 12-Créteil de 1972 à 1984. Professeur d’histoire contemporaine à Rouen de 1985 à 1993, il fut ensuite élu à l’EPHE sur une chaire d’histoire du catholicisme contemporain dont il fut le premier titulaire. Il présida la section des sciences religieuses de 1995 à 2002, date à laquelle il fonda aux côtés de Régis Debray l’Institut européen en sciences des religions (IESR) qu’il dirigea jusqu’à son départ en retraite en 2005.
Après une thèse de troisième cycle consacrée en 1971 au diocèse de Vannes au cours du premier XIXe siècle, il avait entamé une recherche sur les plébiscites de la Révolution et de l’Empire, qu’il interrompit pour se consacrer à l’essor des congrégations féminines à supérieure générale au XIXe siècle. C’est cette thèse de doctorat d’État, parue en 1984 aux Éditions du Cerf sous le titre Le catholicisme au féminin, qui fit de lui un pionnier dans l’histoire des femmes en catholicisme et, plus tard, dans une histoire du catholicisme contemporain saisi au prisme des enjeux de genre. Croisant histoire religieuse, histoire sociale et méthode quantitative, Claude Langlois y inscrivait en effet le phénomène congréganiste dans une perspective selon laquelle la fondation d’une congrégation, ou l’entrée dans une congrégation existante, apparaissait comme le moyen pour des « femmes d’entreprise », d’origines sociales diverses, de contourner l’interdit bourgeois sur leur engagement dans l’espace public et de produire ainsi une forme originale d’émancipation.
Claude Langlois laisse une œuvre exceptionnelle par son inventivité et par la manière dont il n’a cessé d’ouvrir des perspectives originales et inattendues sur des sujets en friche. Paru en 2005 aux Belles Lettres, Le crime d’Onan. Le discours catholique sur la limitation des naissances (1816-1930) est ainsi un livre magistral sur l’histoire de la morale intime au XIXe siècle et sur la manière dont quelques auteurs chrétiens, dont le plus fameux fut Mgr Bouvier, évêque du Mans de 1834 à 1854, s’efforcèrent de définir alors une forme de « théologie morale en actes » qui laissait aux couples, et particulièrement aux femmes, une marge de liberté dans leur rapport à la sexualité et à la prévention des naissances. Il montrait aussi comment l’évolution intransigeante de Rome sous Pie IX et après lui ruina durablement cette première tentative.
À l’EPHE, il consacra une grande partie de son enseignement à l’analyse philologique et historique des manuscrits de Thérèse de Lisieux, dont il renouvela profondément l’approche à travers une dizaine de livres, en la traitant non plus seulement comme une sainte, mais comme une jeune femme du tournant du siècle, obstinée à « faire œuvre » littéraire et confrontée aux contraintes de son état de femme et de religieuse, avant que son œuvre ne soit en partie recomposée après sa mort en vue d’être publiée. Au cours des dernières années de sa vie, il appliqua le même type de lecture à Madeleine Delbrêl, dont il s’efforçait de saisir les écrits comme une œuvre littéraire, au travers même de l’engagement social qui les portait. Auparavant, il avait mis son immense érudition et sa compréhension intime des enjeux de genre au service d’une histoire de la criminalité sexuelle au sein de l’Église catholique contemporaine. Paru en 2020 aux Éditions du Cerf, On savait, mais quoi ? La pédophilie dans l’Église de la Révolution à nos jours est aujourd’hui une référence, le seul ouvrage qui offre une véritable profondeur d’histoire à la crise globale que traverse aujourd’hui la catholicité.
Claude Langlois a profondément marqué plusieurs générations d’historiens, d’historiennes et de sociologues qui lisaient ses travaux et l’invitaient régulièrement dans leurs séminaires et leurs colloques. Jusqu’aux derniers mois de sa vie, il les recevait volontiers chez lui, attentif à leur travail, soucieux de les aider, toujours intéressé par les pistes qu’il voyait s’ouvrir dans le sillage de son œuvre propre. L’EPHE lui avait rendu hommage en publiant en 2023 un ouvrage collectif autour de celle-ci (Pour une histoire sociale et culturelle de la théologie, BEHE n°199), ouvrage lui-même issu d’un colloque organisé quelques années auparavant en Sorbonne. Il était présent lors de la rencontre organisée autour de ce livre en février 2024, merveilleusement vivant malgré la fatigue et la maladie. Il disait le plaisir qu’il avait à retrouver si nombreux ses collègues, de sa génération et plus jeunes, avec la générosité chaleureuse qui était sa marque et faisait de lui, pour nombre d’entre nous, à la fois un modèle et un ami.
Denis Pelletier