Portrait de Claudine Cohen, paléontologue
À l’occasion de la journée internationale des femmes et des filles de science, Claudine Cohen, enseignante-chercheuse à l’EPHE – PSL, nous parle de son parcours académique et de ses recherches.
Pourquoi avoir choisi ce domaine de recherche et ce métier ?
J’ai toujours été habitée par la passion d’apprendre et par une grande curiosité intellectuelle. M’engager dans la carrière universitaire, dans la recherche, était une évidence : comprendre, produire, transmettre et diffuser le savoir m’a toujours semblé digne d’orienter toute une vie.
L’orientation de mes recherches s’est précisée au terme d’un itinéraire assez long et complexe. J’ai étudié la philosophie et la littérature, avant de me découvrir un vif intérêt pour la biologie de l’évolution, la paléontologie et la préhistoire, qui faisait resurgir une passion de l’enfance. Ces disciplines auxquelles je consacre l’essentiel de mes travaux touchent à des questions fondamentales sur l’histoire de la Terre, sur l’évolution de la Vie, sur la place de l’homme dans la nature, sur les transformations de ses cultures, sur son rapport à son environnement et sur son devenir. Mes recherches en histoire et en philosophie des sciences s’intéressent non seulement aux enjeux des sciences actuelles, à la constitution de leurs savoirs et de leurs concepts, mais aussi à leur histoire, aux présupposés et aux enjeux idéologiques qui les habitent, et à l’imaginaire qu’elles véhiculent.
Mes recherches portent donc sur un champ assez vaste, au confluent de plusieurs disciplines. J’ai eu la chance d’intégrer des institutions universitaires qui cultivent l’interdisciplinarité : l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, l’École Pratique des Hautes Études, et l’Université Paris Sciences et Lettres, sont à cet égard exemplaires.
Portrait Claudine Cohen
Quels défis avez-vous rencontrés en tant que femme au cours de votre carrière ?
Il n’était pas facile de trouver sa place dans les institutions de recherche pour les femmes de ma génération. La carrière universitaire est jalonnée de concours qui en principe permettent des recrutements équitables. Cependant il reste un « plafond de verre » qui fait que les femmes accèdent moins facilement aux fonctions les plus hautes ou les plus prestigieuses, même si elles sont brillantes et travaillent beaucoup. J’ai traversé des épisodes difficiles au sein de l’institution, et le fait d’être une femme n’y était pas étranger. Mais au bout du compte cela m’a été plutôt favorable, puisque j’ai été conduite à trouver ailleurs des appuis et des collaborations qui ont beaucoup enrichi mon champ de travail et de réflexion.
Mais le fait d’être une femme n’a pas que des désagréments, loin de là. Au plan scientifique, cela m’a conduite à ouvrir des problématiques neuves, par exemple l’étude de la place des femmes dans la préhistoire – un sujet cultivé aux États-Unis de longue date, que j’ai introduit en France au début des années 2000, et qui rencontre aujourd’hui un intérêt certain, dans le monde savant comme dans le grand public - ou encore à m’intéresser aux femmes de terrain, sujet sur lequel j’ai réalisé deux films en collaboration avec la cinéaste Momoko Seto. Au plan humain, cela m’a valu sans doute d’être accueillie de manière très chaleureuse dans nombre d’institutions universitaires aux États-Unis, en Russie ou ailleurs, où j’ai pu rencontrer et côtoyer des collègues remarquables, hommes ou femmes.
Claudine Cohen au musée de l'homme
Quels sont vos conseils pour sensibiliser et attirer les jeunes filles à choisir la science ?
La recherche scientifique est un très beau métier, difficile mais gratifiant, pour les hommes comme pour les femmes.
Il est vrai que la science a longtemps été identifiée comme un domaine masculin, mais les choses bougent aujourd’hui. Une plus grande attention est portée dans les institutions scientifiques aux questions de parité, les recrutements et les promotions tendent à être plus égalitaires. Les problèmes que peut rencontrer une jeune fille ou une femme dans l’exercice de son métier (discriminations, harcèlement) font l’objet d’une vigilance accrue. Du reste, les questions de genre ont désormais leur place dans les institutions scientifiques, et s’intègrent de multiples façons aux enjeux mêmes de la recherche.
La recherche scientifique est un terrain de jeu magnifique, un espace de liberté et d’ouverture. Il est possible au cours d’une carrière de diversifier ses intérêts, de s’ouvrir à de nouveaux champs de connaissance, voire de contribuer aux approfondissements ou aux mutations du savoir. C’est un métier très prenant et passionnant, mais où on peut aussi travailler à son rythme, en fonction des impératifs familiaux par exemple. Si on le souhaite, on peut découvrir le monde, et se déplacer beaucoup, soit pour les besoins de la recherche, soit pour participer à des colloques ou des congrès internationaux, ou donner des conférences. On côtoie ainsi de manière vivante des cultures différentes. On peut y faire des rencontres magnifiques et entretenir des échanges au long cours. Le monde entier est ouvert, car la communauté scientifique n’a pas de frontières.