Rapport Sauvé

Rapport Sauvé : Philippe Portier sociologue, responsable d’une des 3 enquêtes

Spécialiste des laïcités et du religieux contemporain, Philippe Portier, directeur d’études à l’EPHE - PSL, membre de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) a mené l’enquête socio-historique sur la pédocriminalité dans l’Église depuis 1950.

Avec son équipe composée de Paul Airiau, de Thomas Boullu, et d’Anne Lancien, tous trois docteurs en sciences sociales (histoire, histoire du droit, science politique), Philippe Portier a exploré les archives de l’Église et les fonds de l’État. Ce travail riche de plus de 600 pages a nourri le rapport Sauvé présenté le mardi 5 octobre 2021 par Jean-Marc Sauvé, président de la CIASE.

Quelle a été votre approche scientifique et la méthodologie employée pour mener cette enquête ?

Notre travail a consisté à explorer les archives centrales de l’Église conservées en partie à Issy-les-Moulineaux, auxquelles se sont ajoutées les archives de 31 diocèses et 15 instituts religieux. Ce sont des dizaines de milliers de pièces que nous avons étudiées. Notre corpus comprenait aussi les archives centrales des ministères de la Justice et l’Intérieur, plusieurs fonds départementaux et les dossiers plus récents, très nombreux aussi, conservés par les parquets généraux. Nous avons bénéficié du soutien certes de l’épiscopat et même du Saint-Siège, mais aussi des ministres de la Justice et de l’Intérieur.  
Il s’est agi de percer au jour l’évolution des logiques d’abus dans l’Église depuis les années 1950 (et même avant), de comprendre les politiques de traitement de la question par les autorités ecclésiales (de Rome aux diocèses), de saisir aussi les modalités d’intervention de l’État en la matière. La moisson a été bien plus riche qu’on ne le pensait au début de la recherche.
 

Quels ont été les éléments ou les faits les plus marquants de votre enquête ?  

Bien des faits sont marquants puisqu’il s’agissait d’explorer des archives ordinairement interdites. Notons en trois points très rapidement :
D’abord, l’ampleur du phénomène. Évidemment, les archives ne nous donnent à voir que la « criminalité apparente » et non la « criminalité réelle », selon l’expression des pénalistes. Reste qu’elles dévoilent tout de même un continent bien sombre, tant pour ce qui a trait au nombre des victimes que pour ce qui touche au nombre des abuseurs. La presse a révélé hier le chiffre que nous avons établi : 3000 abuseurs depuis 1950, sachant qu’il s’agit là d’un plancher, d’un niveau minimal.
Ensuite, l’évolution du phénomène. Les logiques de l’abus ont évolué à travers le temps. On est passé de l’abus éducatif, commis dans les établissements scolaires, à l’abus davantage paroissial ou communautaire. Cette géographie de l’abus constitue un observatoire des évolutions du catholicisme.
Enfin, le traitement du phénomène par l’institution ecclésiale. Lui non plus n’est plus de même nature que dans les années 50.

 

Au regard de vos recherches et en tant qu’historien des religions, comment avez-vous perçu la gestion de ces faits par l’Église ?

Dans un premier temps, disons jusqu’aux années 1990, l’Église, tout en faisant de la « pédérastie » un sujet de préoccupation (en tout cas jusqu’aux années 1960), la traite en interne, en la dissimulant au regard de l’opinion publique. C’est une politique de l’occultation, largement déterminée par une théologie traditionnelle du scandale.

Les années 1990 marquent un tournant sous l’effet de pressions internationales mais aussi d’une évolution des sensibilités sociales (c’est un point essentiel de notre travail), elles-mêmes en lien avec une mutation des décisions judiciaires. Ce sont d’abord les discours qui changent. À compter des années 2010, les pratiques ecclésiales évoluent dans un sens plus favorable aux victimes.

 

En tant que sociologue, est-ce que ces analyses définissent des profils ou des signaux avant-coureurs ?

Ce serait trop dire. Il est toujours une indétermination de la violence sexuelle, qui peut se révéler au fil d’un parcours sans tâche, souvent de surcroît au terme de plusieurs années de carrière ecclésiastique. On a pu cependant repérer, chez une partie non négligeable des clercs abuseurs, des profils psychologiques particuliers moins marqués par « l’immaturité » (comme on le dit parfois) que par « l’introversion », ce caractère étant surdéterminé par un certain contexte social. 

 

Quelles sont les perspectives pour une telle institution, elle-même à l’origine de ce rapport ?

La plupart des Églises occidentales sont entrées dans ce processus de vérité quelques années avant l’Église en France. Il lui était impossible, après l’affaire Bissey et plus encore après l’affaire Preynat, de ne pas entrer dans le même cheminement. Le choc est rude pour le catholicisme français tant les faits sont accablants. Il ne pourra pas, sauf à ce que s’accentue encore la décatholicisation en cours, ne pas se traduire par une réaction de l’institution sans doute pas sur le terrain de sa théologie, mais probablement sur celui de sa gouvernance.   

 

Quelles peuvent les conséquences psychologiques de ce rapport sur les familles et les victimes ?

Les victimes ont été reçues par la commission. Leur écoute – près de 200 victimes ont été auditionnées – a été décisive dans la constitution de ses préconisations, dans le domaine de la justice réparatrice en particulier. Elles nous ont confié à maintes reprises qu’elles pourront trouver là, après des souffrances si vives qu’elles ont été un empêchement de vivre, la possibilité d’une restauration de soi. Ce fut là en tout cas, dès ses premières réunions, l’un des objectifs premiers de la commission Sauvé.   

 

À propos de la CIASE


Les missions de la CIASE :

  • établir les faits sur les cas de pédophilie au sein de l’Église, depuis 1950, sur une période de 70 ans ;
  • comprendre pourquoi et comment ces drames ont pu avoir lieu et ont été traités ;
  • examiner l’action de l’Église pour lutter contre la pédophilie et faire des recommandations.
Résumé Rapport CIASE
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11.10.2021